La lettre du secteur pastoral de Pessac, 4 avril 2016

 

                           « Religions du Livre et société française actuelle »

Un cycle de 4 conférences partages, à Pessac, salle de la Fraternité, organisé par l’Eglise Protestante (« Présence au Monde ») et l’Eglise Catholique de Pessac

-          11 février, 18h30 : le Christianisme avec Christian Alexandre, curé de Pessac et Raymond Chamard, pasteur de l’église protestante de Pessac.

-          3 mars, 20h : le Judaïsme avec Didier Guedj, membre du consistoire israélite de Bordeaux et président des amitiés judéo-chrétiennes

-          17 mars à 18h30 : l’Islam avec Mahmoud Doua, imam de la mosquée de Cenon

-          31 mars à 20h : table ronde avec l’ensemble des intervenants, animée par Jean-Michel Dauriac, président de « Présence au Monde ».

 

Table ronde du 31 mars 2016

       (Notes de Jacques Da Rold prises en cours de réunion, non exhaustives. Un compte rendu complet enregistré est disponible sur le site internet de l’Eglise protestante de Pessac : eel33.fr. Les notes des 4 conférences sont sur le site internet du secteur pastoral dans les lettres du secteur pastoral de Pessac des 1ermars, 12 mars et 23 mars : paroisse-pessac.fr, rubrique :  jubilé de la Miséricorde)

Cette table ronde fait suite aux 3 précédentes conférences. Elle se déroula en trois temps :

-          rappel synthétique de la position des 4 religions du Livre, pour aujourd’hui !

-          questions de Jean-Michel Dauriac au regard de la société française actuelle

-          débat avec le public.

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Le pasteur Raymond Chamardrappela que le christianisme était religion de la Parole. Le Christ incarne la parole consignée dans la Bible, livre pertinent qui a encore de nos jours quelque chose à nous dire… mais demande études, méditations, efforts pour en accepter et comprendre tout le message pour aujourd’hui.

La place centrale est celle de l’Amour de Dieu et l’Amour révélé doit se vivre au quotidien ; il est tout à fait adapté et pertinent dans notre société actuelle sécularisée et matérialiste, rappelant l’existence d’une transcendance. Un message spirituel pour l’être humain et cela est valable pour nos différentes religions. Nous avons en ce sens un message commun à communiquer : les religions ne sont pas source de violence et pour cela en notre pays la laïcité doit être bien vécue. La Foi doit pouvoir s’exprimer en public car nul ne détient la Vérité et l’approche par différents chemins permet le dialogue…en demeurant nous-mêmes , quelles que soient nos convictions… Dieu nous mettra tous d’accord, le moment venu.

Nous sommes des « sentinelles », des lanceurs d’alerte pour notre société face aux dangers qui la menacent si elle néglige son « âme », le sens spirituel de toute vie.

Le père Christian Alexandre afficha sa conviction qu’il était faux de vouloir faire croire que les religions sont source de violence, danger de la « pensée unique ». L’étude de la Bible montre qu’il s’agit de plusieurs livres écrits au fil des siècles avec des « histoires » et des visions de Dieu différentes, selon les époques et les contextes historiques, l’homme défini dans un milieu et son époque. Sans reprendre son exposé de l’homologie structurale (cf. lettre du 1er mars, conférence du 11 février), le père Christian rappela la « nécessaire distance» à avoir face à la lecture de la parole biblique. Il nous faut sans cesse inscrire notre parole dans notre époque, introduire un écart entre la pensée des autres siècles et celle de notre époque. L’essentiel n’est pas d’appliquer à la lettre ce qui est écrit mais de s’en inspirer en l’ayant présent en nous, comme pilier de notre Foi. L’intégrisme serait de se bloquer à un moment de l’évolution , que ce soit au début du christianisme ou au 19e siècle ! Nos religions ne sont pas monolithiques ; il nous faut penser à un « Dieu qui bouge », qui se révèle dans une histoire… et le  réinventer sans cesse… dans notre histoire d’aujourd’hui.

Didier Guedjrappela que le peuple juif est le peuple de l’étude du Livre et il y a plusieurs étapes de cette interprétation des textes, du littéral à la kabbale, pour rentrer dans le « verger de la connaissance » (cf. la lettre du 12 mars, conférence du 3 mars). La Torah n’est pas un livre d’histoire ; derrière chaque verset il y a des réflexions à travailler. C’est un livre de symboles, d’où l’importance des écrits interprétatifs, les messages du Talmud. Ce sont eux qui nous font grandir pour avancer sur notre chemin vers Dieu, avec chaque génération qui amène une nouvelle vision. La loi juive est ce qui avance, qui progresse, elle n’est   nullement sclérosée.  

La loi française sur la laïcité permet cette évolution de la pensée et l’échange avec les autres religions car nul n’a la Vérité, mais une vérité et au-delà du peuple juif … Il a été fait référence  aux «  justes », terme de la religion juive, utilisé à l’égard de tous ceux qui observent les commandements  et se comportent avec justice.

Dans le judaïsme, la part du doute est présente et la Foi se vit au sein de la société… avec pragmatisme.

L’imam Mahmoud Douainsista sur l’importance du savoir qui peut nous sauver face à l’inculture religieuse actuelle. L’Islam est la religion du Livre et a aussi ses spécialistes d’un travail continuel avec la révélation du Livre, de l’Univers et de l’Histoire, révélation universelle avec, dans le Coran, des liens avec la Torah et la Bible. L’Islam n’introduit pas de rupture avec ces écrits. C’est une « ultime réforme » et non un « choc de civilisation » tel qu’on voudrait nous le faire croire ! Les textes du Coran donnent essentiellement un sens à la vie et la « Loi » ne représente que 5 % des sourates qui le composent. Il a été révélé dans le contexte historique d’une société arabe du Moyen Orient, à une époque déterminée, d’où l’importance de penser l’Islam dans son contexte tel que les musulmans l’ont fait avec de grands penseurs… jusqu’au 13e siècle. Avec l’Islam de France, il s’agit de parler de Dieu dans une culture française, avec les mots adaptés pour être en « communion » avec la culture française imprégnée du catholicisme. La loi sur la laïcité permet d’avoir des pratiques acceptables  dans l’espace public … en s’adaptant car Dieu ne demande que le possible.

  

La première question de  Jean-Michel Dauriac pour la table ronde concerna  la lecture en français.

Didier Guedj rappela qu’en France, le judaïsme a connu des « temps forts différents » dans le cours de l’histoire. L’important fut souvent la transmission avec le « geste », le « sens » et dans des situations d’urgence, l’hébreu, qui est demeuré une langue vivante,  a servi (et sert) pour les textes  de référence, mais la Torah est enseignée dans la langue du pays.

Raymond Chamard précisa le souci toujours présent chez les protestants, comme au temps de Luther, de traduire la Bible dans la langue du pays pour que celle-ci soit appropriée par tous.

Mahmoud Doua indiqua que le Coran avait été révélé en langue arabe, mais l’Islam est universel et chacun est envoyé en mission pour enseigner dans la langue du pays. Le Coran en langue arabe est « sacralisé », et non les traductions.

Le père Christian rappela que les évangiles avaient été écrits en grec ! et, au-delà de la langue, il faut prendre en compte les mentalités et les cultures.

En ce qui concerne les interprétations ?

Le père Christian indiqua les possibilités pour chacun d’avoir des visions différentes pour les problèmes de société, tels que le mariage, l’homosexualité, la « vie »mais il faut des « garde-fous », des repères. Les paraboles des évangiles ne sont pas fermées et permettent des ouvertures dans leurs interprétations. Mahmoud Doua confirma l’intérêt des exégètes mais l’essentiel peut être compris de chacun. Raymond Chamard insista sur l’importance de la lecture personnelle de la Bible et son interprétation personnelle, le pasteur pouvant accompagner celle-ci. Mais il mit en garde contre les interprétations et textes qui circulent sur internet ! Didier Guedj confirma les risques d’internet lorsque les textes sont sortis de leur contexte. Il y a des règles à respecter lorsque l’on fait de l’exégèse et le verset ne doit pas sortir de sa littéralité, l’essentiel étant de savoir comment la lecture va résonner en nous !

Comment définir le comportement intégriste ?

Pour Raymond Chamard, l’intégriste veut imposer son interprétation en ayant une lecture à son profit. Didier Guedj rappela qu’il y a, et toujours eu, des intégristes dans toutes les religions…et au-delà. La Loi transmise à Moïse devait permettre de « Vivre Ensemble », une compréhension de l’autre. L’intégriste s’attache au geste sans prendre en compte le sens, ainsi la communauté juive est actuellement « plus sécuritaire », suite aux menaces à son encontre…et la base de l’intégrisme est lié aussi à cette notion de peur. La prière pour le peuple français lue à la synagogue est un rempart contre l’intégrisme. A ce sujet, Mahmoud Doua précisa que l’intégrisme n’était pas que religieux ; c’est une absence d’exigence morale pour accéder aux textes et diffuser la connaissance permet de lutter contre l’intégrisme. Pour le père Christian, les intégristes ne sont généralement pas ouverts à l’exégèse, à la connaissance historique des textes, font des blocages sur des détails tels que la messe en latin ou la soutane des prêtres !

Quelle voix des religions dans la société ?

Pour Mahmoud Doua, les institutions publiques méconnaissent la loi de 1905 sur la laïcité. L’espace public citoyen et le débat sont ouverts à tous et les religions ont le droit de s’y exprimer.  Lorsque la loi est votée, elle s’impose à tous. Le père Christian regrette que l’expression des catholiques soit limitée par les médias aux problèmes de sexualité. Or le pape François a ouvert des pistes dans des domaines qui concernent toute la société, le respect des immigrés, des prisonniers (« qui suis-je pour juger ? »), le travail, la création…la dignité humaine, autant de pistes pour s’exprimer. En ce qui concerne les marches, nous en faisons sur Pessac … dans la discrétion.

Raymond Chamard pense que l’on doit s’exprimer en citoyens et être des témoins, des veilleurs de certaines valeurs partagées par nos religions … apporter au pouvoir politique des réflexions au niveau éthique, dont il se prive actuellement. Pour Didier Guedj, l’histoire du judaïsme en Europe l’a conduit à ne pas être revendicatif…il s’est arrangé, sans ostentation, par des réseaux de relations plus que par des manifestations.

Et le débat avec le public permit de compléter cet échange déjà fort passionnant.

Face aux dérives des interprétations personnelles  il fut convenu de compter sur la connaissance et le pari de l’intelligence et de ne pas confondre les raisons de l’intégrisme et les  facteurs de pouvoir avec la religion.

Christiane fit remarquer l’intérêt de la lecture des textes en groupe et de le vivre ensuite dans son quartier, dans ses actions. Raymond Chamard approuva cette vision de la lecture et de l’action, ce que confirma Mahmoud Doua : il faut les deux pour accéder à Dieu.

Le père Christian conforta cette position en indiquant qu’accéder à Dieu par la raison pure construit des idoles, un Dieu qui n’est pas celui de l’Evangile, ce qui montre les chemins différents de la Raison et de la Foi.

Le thème de la laïcité fut largement abordé et il fut convenu que la laïcité pouvait gérer une société plurielle, l’Etat garantissant l’exercice des cultes. La laïcité est d’ailleurs pragmatique et des solutions sont possibles pour financer des associations culturelles (baux emphytéotiques, mise à disposition de locaux…).

Le manque convenu par tous demeure la connaissance du fait religieux, voire de plus en plus son rejet. Une meilleure information peut commencer « par le bas » selon l’expression de Didier Guedj, par des rencontres telles que celle de ce soir, mais il est important d’aller au-delà, pour informer les jeunes. Il semble qu’il y ait une grande frilosité du corps enseignant, et cela même au niveau de la formation des professeurs d’histoire. Or des interventions en milieu scolaire ne peuvent que favoriser le Vivre Ensemble. Cette situation est aberrante car comment peut on se dire laïque, permettre un libre choix de pratique religieuse ou non, si on refuse que le fait religieux soit abordé dans les écoles ? Hervé propose que cela soit tenté sur Pessac au lycée pape Clément…

 A suivre… pour que nos religions soient ferments et acteurs du Vivre Ensemble !